« And the days blur into one Part II » FLASHBACK ♦ Ft Liscialle

Énième consultation de montre, la replaçant dans sa poche. Ce toc perdurait déjà depuis des heures, tournant en rond tel un lion en cage alors que le tic tac continuait sa course trop lentement à mon goût. Guinerain sentit ma nervosité, sortant d'un tiroir avec un ruban blanc tout en désirant que je lui attache pour ne pas que je me ronge les ongles et m'occupe quelques instants les mains. Je la prend sur mes genoux, glissant le morceau de tissus autour d'elle pour le nouer soigneusement y piquant quelques fleurs de la même couleur. Après tout il n'y avait pas de raison pour qu'elle ne se mette pas sur son trente-et-un elle aussi si elle le désirait. Elle alla contempler le résultat devant le miroir sautillant avec hâte alors que la voiture venait d'arriver, son de sabots claquant sur le pavé de la rue alors que je donnais les dernières directives pour que la maison soit parfaite à notre retour. Je réajustais une dernière fois mon costume tenant à être impeccable pour un tel évènement qui ne se produisait qu'une fois dans une vie.  

Le trajet me sembla durer une éternité, triturant mon haut de forme entre mes doigts tout en tentant d'imaginer à quoi Liscialle pouvait bien ressembler en cet instant. C'était devenu un jeu avec Guinerain, théories et images s'imposant à nos esprits tout en tenant les paris histoire de passer le temps. La seule chose dont nous étions certain, c'est qu'elle était vêtue d'un blanc immaculé. Enfin le palais de justice fut à notre portée, descendant tout en tâchant de rester debout et ne pas m'effondrer sur le sol. Il n'y avait désormais plus qu'à attendre dans l'espoir que sa voiture ne soit pas trop en retard, guettant le moindre claquement de sabot sur la place.

Elle allait venir, c'était une certitude, après tout elle ne pouvait pas rater le jour de son propre mariage. Une "union ridicule" si je m'en tenais aux propos de mon géniteur devenu rouge face à cette annonce. Je l'avais devancé, mieux, j'avais anticipé ses menaces, surprise que ma fiancée ignorait encore, alors que quelques domestiques s'occupaient de rendre cette demeure parfaite. Je voulais lui en mettre plein la vue, lui montrer que ses craintes étaient parfaitement infondées. Par la même occasion je désirais mettre une claque à mon père, lui prouvant que je m'en sortait parfaitement bien sans lui et ses menaces et autres discours sur les traditions et éducation.

De toute manière c'était trop tard pour reculer, d'autant plus qu'un manchot maladroit et peu agile sur le pavé apparut à l'ouverture de la porte d'une voiture. Mes doigts se glissèrent une dernière fois dans la fourrure de mon âme perchée sur mon épaule, repiquant au passage une fleur qui menaçait de tomber. Je m'approchait, curiosité, excitation et appréhension se mélangeant, attendant que la futur mariée sorte sous le regard curieux des badauds, bienveillant de rares membres de nos familles respectives et amis.

Août, enfin. En dépit des supplications de Delenrorn, j'ai passé la nuit à tourner encore et encore dans le lit, incapable de me laisser aller au sommeil aussi longtemps que nous étions mardi. Je connais les proverbes, les chansons. Wednesday the best day of all. Married in August's heat and drowse, Lover and friend in your chosen spouse. Whoever wed in August be, Many a change are sure to see. Toutes les fillettes les connaissent. Décembre aurait été tout aussi judicieux, plus positif encore. Qui ne veut pas que son amour croisse chaque jour, que son véritable amour dure ? Mais je suis trop impatiente pour cela. Je veux épouser Palareth, qu'il soit mon Pala, enfin, aux yeux de tous. Ed approuve, son enthousiasme aussi débordant que le mien. Il se fait patient tandis que notre chez-nous s'est trouvé envahi par les patrons, étoffes et autres ces derniers mois, mon trousseau me semblant soudain bien trop fade me poussant à y ajouter, à broder le coin des draps, à repiquer le bord des serviettes, à incruster en rougissant la dentelle si délicate le long de mes pantalons, mes doigts travaillant encore et encore sans protestations. Mais la dernière robe a été placée dans sa malle il y a deux jours déjà, me laissant démunie et inquiète.

D'où la large cravate au cou d'Ed (Delenrorn pour l'occasion, à sa propre insistance), mon Daemon tenant à être parfaitement apprêté pour l'occasion. La couleur et la forme ont mené à bien des débats, jusqu'à ce que j'obtienne gain de cause. Non, sa cravate ne sera pas lavande, le rappel ne serait pas des plus heureux, surtout si près de son bec. Et non elle ne sera pas brodée. Arranger le tombé et les plis m'aura pris bien assez longtemps, gris tourterelle si étrange contre son plumage. Même sa robe d'éclipse n'a pas ces teintes, et je regrette qu'il n'ait pas accepté un brun semblable à celui de ses plumes hivernales. Il a au moins abandonné l'idée de gants au bout de ses ailes, convaincu après avoir vu un croquis que ça ne le rendrait que ridicule.

Un soupir m'échappe tandis que mon châle glisse à mes pieds, ma voisine m'aidant à me glisser dans ma robe, satin bruissant discrètement alors qu'il rencontre mes dessous. Le bleu de ma jarretière me tire un sourire tandis qu'il disparait sous l'étoffe blanche. Married in white, you have chosen aright. Je ne pouvais faire ma robe d'une autre couleur, et le résultat tire un soupir d'admiration renouvelé à Delenrorn tandis que je me tiens immobile, mains amicales fermant les minuscules boutons nacrés avant de boutonner les quatre perles à mes poignets, dentelle enserrant mes bras et ma gorge, couvrant et révélant mon décolleté tout à la fois, descendant jusqu'en bas de mon bustier, satin s'exprimant seul sur la jupe à la longue traîne à peine arrondie, plis se formant tandis que le tissu s'enroule autour de mes chevilles et couvre mes chaussures tandis que les gants de chevreau blanc couvrent enfin mes mains, annulaire fendu de sorte à ce que mon alliance puisse s'y glisser. Lentement, je me transforme en mariée, surprise et émerveillement s'affrontant dans mon regard lorsque je le croise dans le miroir. Delenrorn est silencieux dans son coin, sombre silhouette immobile, fierté et joie évidents dans la ligne de ses ailes, de son bec, dans ses yeux. Impatience dissimulée autant que possible mais pourtant trahie par le cliquètement de ses ongles sur le plancher. Je ne doute pas qu'il a hâte de retrouver Guinerain et de voir l'expression de Pala en me voyant. J'ai davantage hâte de découvrir mon futur mari dans toute sa splendeur, dans ce costume si particulier.

Mais avant, il faut finir de me préparer, fixer les boucles d'oreille de perles et diamants et le sublime collier fait des mêmes pierres qui repose par-dessus la dentelle contre ma gorge, présents de Palareth qui me sont parvenus ce matin. Glisser une pièce dans ma chaussure, replacer les peignes de diamants et perles piqués dans ma chevelure, à peine visibles tandis que le voile recouvre mon visage, dentelle fine comme un nuage dissimulant à peine mes traits. Il faudra que je rende les peignes, bien entendu. Ils sont mon quelque chose d'emprunté, quand mon mouchoir est quelque chose de vieux, initiales brodées par ma mère à l'occasion de son propre mariage. Je ne peux que supposer qu'elle a délibérément fait en sorte que nous ayons les mêmes initiales. Je ne pourrais prolonger la tradition avec ma propre fille; il faudra en créer une nouvelle, propre à notre famille. L'odeur délicate des fleurs d'oranger plane dans l'air, couronne maintenant mon voile en place, bouquet blanc parsemé des mêmes fleurs.

"Sois prudente."

La voix empressée de Delenrorn me tire un sourire tandis qu'enfin nous montons en voiture, sabots des chevaux résonnant contre le pavé alors que nos nous dirigeons vers le Palais de Justice, excitation montant en moi telle une vague à mesure que les rues passent. Je me marie aujourd'hui, je me marie à Pala, et le souffle me manque un instant à cette idée, à l'idée du bonheur que cette simple pensée me procure. Delenrorn me précède hors de la voiture quand nous arrivons, m'achetant le temps nécessaire pour me composer. Pleurer le jour de son mariage est certes un bon présage, mais je préfère garder mes larmes pour plus tard, pour lorsque nous seront enfin unis, deux moitiés d'un même tout, nouvelle unité si différente de celle que nous formons avec nos daemons. Libre de passer mon bras dans le sien, de laisser ma tête reposer contre son épaule, d'effleurer sa joue d'un baiser quand les regards seront détournés sans avoir à craindre de représailles. Libre d'aimer mon Pala sans avoir à m'inquiéter que l'on ne me l'arrache. L'idée est assez puissante pour manquer me faire tourner la tête.

Et si l'idée d'être mariée à Palareth manque me faire succomber à une vapeur, le voir fait certainement flancher mes genoux, épaule de Delenrorn me maintenant et dissimulant mon trouble alors que mes yeux le dévorent derrière le voile. Je n'ai qu'une envie, soulever cette pièce de tissu légère comme un rêve et me perdre dans les bras et les lèvres de mon futur époux, tandis que mon autre s'extasie dans mon esprit devant le ruban et les fleurs de Guinerain, ravi de la voir aussi joliment apprêtée. Nos troubles respectifs se nourrissent l'un de l'autre, jusqu'à ce que je trouve à sourire un sourire de délice, premières larmes de joie m'échappant, glissant ma main tremblante contre le bras de mon Pala. Moi qui m'inquiétais à l'idée que son père puisse nous voir, me voilà soudainement indifférente à la possibilité de sa présence, certaine que rien ne saurait gâcher ce jour ni les jours à venir. Son père ne peut plus nous atteindre désormais, plus rien ne pourra nous séparer, hormis le passage du temps.

"Tu es... superbe."

Les mots soudain intimidés s'étranglent dans ma gorge, mon regard trouvant le sol alors que je m'en sens soudain bien loin de la Cia confiante de Delenrorn. Lui est au contraire à son aise tandis qu'il flatte Guinerain de son bec et de ses mots, murmurant doucement dans son pelage tandis que je m'empêche d'être jalouse. Il a beau être une partie de moi, je lui envie de pouvoir montrer toute son affection au furet quand je dois me contenter de ma main sur le bras de Pala pour le moment encore, intimidantes portes du Palais de Justice se rapprochant jusqu'à ce qu'enfin les lourds battant nous avalent, révélant la splendeur du bâtiment. J'avale difficilement, regard se perdant un instant le long des murs et du plafond avant de retourner à Palareth. Bientôt. Bientôt il sera mon mari, mon époux.

Je sentis les petites pattes de Guine remettre ma cravate d'un bleu sombre, de la même couleur que ma redingote, avec soin avant de réajuster les quelques fleurs de ma boutonnière et de rejoindre le sol pour accourir près du manchot, complicité des deux Daemons plus que palpable qui me fait esquisser un sourire en coin. Je me retrouvais seul, partagé entre appréhension et excitation face à la mariée aux traits dissimulés sous son voile qui venait d'apparaître dans mon champ de vision. Je dû rester immobile une bonne vingtaine de secondes, regard se promenant sur la robe et la longue silhouette blanche d'une beauté presque surréaliste, féérique, la bouche légèrement ouverte, incapable de prononcer une phrase cohérente, du moins jusqu'à-ce que Guinerain m'indique qu'il valait peut-être mieux que je la referme avant de se blottir dans les pattes de Delenrorn, flattée par ses quelques mots. Je ne pouvais m'empêcher de tenter de dessiner les traits de la futur mariée derrière son voile, éprouvant cette irrésistible envie de le faire disparaître.

Une fois les lèvres clauses, le sourire presque enfantin se dessina tout naturellement, me contenant tant bien que mal pour ne pas me mettre à sautiller à l'image de ma furette de moitié, retrouvant l'usage de mes membres pour m'incliner face à la demoiselle, lui présentant une main gantée de nacre, attendant qu'elle s'empare de mon bras. « Mademoiselle Toleras. » Le nom était intentionnel, le sortant une dernière fois, amusé, la charriant presque alors que ce n'était pas vraiment le moment. Une boutade nerveuse sortie toute seule dans un chuchotement, pour nous détendre. Elle ressortirait des murs du Palais de Justice en tant que Balshilek, elle serait mienne et il n'y aurait plus jamais personne d'autre.  

Je commençait à connaître ce bâtiment par cœur, apprivoisant de jour en jour ses labyrinthe et son architecture. Seulement cette fois, je n'y pénétrait pas par obligation, trainant les pieds dans la moindre motivation, j’avançais à la hâte, droit et fier comme un paon, tout en prenant garde de ne pas me prendre les pieds dans la robe de ma fiancée, ce n'était pas le moment de faire une chute, ni même d'abimer les tissus immaculés. Nos âmes nous emboitaient le pas, Guine exprimant notre excitation dans sa démarche. La pensée qui suivit n'était certes pas raisonnable, mais je ne pouvais m'empêcher d'imaginer le regard de mon géniteur si nous le croisions en cet instant. Regard déconfit tandis que je gardais mon assurance. J'entendis le rire de Guinerain qui s'imaginait aussi la scène, museau relevé également avec fierté en direction du manchot à ses côtés.

Enfin ce fut l'instant tant attendu, l'entrée dans l'immense salle fleurie pour l'occasion. Je jetais un coup d’œil furtif vers Liscialle, voulant m'assurer que tout allait bien avant d'entamer les quelques pas fatidiques en direction du marieur qui nous attendait à l'autre bout de la pièce. Il commença son discours une fois tout le monde en place, relâchant le bras de ma promise pour replacer une ultime fois ma redingote d'un bleu sombre avant de ôter mon haut de forme. « Tout va bien se passer Pal. » La voix rassurante s'infiltra dans mon esprit, effaçant celle de l'homme en face de moi, enchainant avec quelques commentaires amusants pour que je me décrispe légèrement. Il ne fallait pas que je me mette à rire surtout. J'espérais qu'elle avait raison, que tout allait bien se passer.

Ce fut heureusement le cas, malgré la nervosité, malgré cette envie irrésistible d'accélérer le temps qui me semblait devenir une éternité et de passer directement à l'échange des alliances. J'avais hâte que ça se termine une bonne fois pour toute. Il y eu d'abord les consentements, suivit des vœux, dictés dans mon esprit par Guinerain avec qui je les avait répétés encore et encore pour m'empêcher de bafouiller, jurant protection et fidélité. Le tout avant de saisir le fameux anneau symbolique de mes gants qui paraissaient plus que glissant, prenant la main de la brune pour le glisser à son annuaire où le gant était fendu pour cet usage. Enfin, ce fut la libération, la phrase de conclusion qui étira les lèvres, le "je vous déclare mari et femme, vous pouvez embrasser la mariée".

Mes doigts glissèrent le long du voile de dentelle, l'ôtant avec délicatesse pour laisser apparaître le visage qui se dissimulait depuis son arrivée, capturant son regard tout en saisissant à peine ses joues entre mes doigts, déposant ce premier baiser en tant qu'époux, premier baiser affiché au grand jour et parfaitement assumé, sur les lèvres de celle qui était désormais ma femme. Le vertige était délicieux, savoureux, c'était l'instant victorieux, hélas ce n'était pas le moment de se laisser aller dans un long baiser et se laisser guider par les émotions, tout cela était réservé pour plus tard, une fois que nous serions à l'abri des regards. Je sentais Guine se blottir un peu plus contre Ed, se frottant à son plumage si doux (enfin selon ses pensées). Nous étions désormais quatre pour un seule être jusqu'à ce que la mort nous sépare.

Mademoiselle Toleras... bientôt, je laisserai ce nom derrière moi, devenant Madame Balshilek à la place. Quel nom étrange, si lourd de traditions et de significations, d'attentes et d'histoire. Mais je ne serai pas une Balshilek, au final, n'est-ce pas ? Je serai la femme de Palareth, tout simplement, sienne jusqu'à ce que la mort nous sépare et au-delà, je l'espère. Et ce titre-là me semble naturel, léger comme une bulle de savon, doux et chaud comme une étreinte de Delenrorn, comme un baiser de Palareth, sourire s'épanouissant sous mon voile, doigts pressant le bras de mon futur époux, transmettant mon amusement muet de la seule manière qu'il me reste. Pour l'instant, je dois encore rester composée, silencieuse, tandis que les couloirs se succèdent, laissant la place à la salle des mariages emplie de fleurs aux pétales blanc, Poussière merci dépourvue de lys. Je n'aurai pas souhaité devoir lutter contre l'envie d'éternuer lors de notre mariage, moment trop précieux pour être gâché de la sorte. Delenrorn approuve tandis que nous prenons nos places, manchot se séparant à regrets de sa compagne avant de redresser le bec, droit dans son costume de plumes. Tout comme moi, il sait qu'il ne pourra bientôt plus être séparé d'elle, et attend cet instant avec impatience.

La cérémonie passe comme dans mes rêves, brefs instants dont j'ai parfaitement conscience au milieu d'une brume de sensations et d'émotions, voeux de Palareth résonnant dans mes oreilles et faisant monter le sang à mes joues avant que je ne prononce les miens, voix rendue tremblante par les larmes de joie que je ne peux retenir. Je pense chaque mot, chaque promesse, Delenrorn ne pouvant s'empêcher de répéter les vœux de Palareth dans un murmure destiné à Guine seule, bec bougeant à peine. Lui aussi se marie aujourd'hui, même s'il n'a pas d'alliance à glisser à son doigt, se contentant de se rapprocher d'elle tandis que le cercle de métal glisse à sa place le long de mon annulaire, mes doigts rendant la pareille, les alliances jumelles nichées sur nos mains, nous unissant. Je manquerai presque les mots du marieur tandis que je réalise que je suis devenue Madame Palareth Balshilek, revenant à moi tandis que mon voile est relevé par les mains que je chéris, premier baiser en tant que mari et femme échangé, mes paupières s'abaissant avant que de nouvelles larmes ne puissent tracer leur sillon le long de mes joues. Les doigts gantés de Palareth encerclant si doucement mon visage, l'odeur des fleurs et sa cologne, le contentement de Delenrorn qui me réchauffe de l'intérieur en vagues qui font écho à mes propres émotions. Les lèvres pressées contre les miennes, légères, respectueuses tant de ma personne que du lieu et des gens qui nous entourent, de ce qu'ils attendent, des normes à respecter, presque une promesse muette. Plus tard, quand nous seront seuls, seuls tous les quatre, alors nous pourrons nous embrasser librement. Pour l'instant, il faut rester mesurés. Je suis certaine de n'avoir jamais souri un tel sourire tandis que ma main se glisse dans celle de mon mari, Delenrorn encerclant Guine de ses plumes en un écho.

"Bonjour, Monsieur mon mari."

Je ne peux réprimer un nouveau sourire tandis que je prononce mes premiers mots en tant que femme de Palareth, résistant à l'envie de l'embrasser de nouveau. Il faut à la place quitter la salle, veillant à regarder droit devant moi, quand je n'ai qu'une envie, garder mes yeux sur Pala. Mais il ne faut pas, et je souris à la place, larmes coulant de nouveau, éternellement renouvelées, m'échappant en silence, aucun sursaut n'agitant mes épaules. Mon port est royal, au contraire, digne d'une professeure de bonnes manières, digne d'une Balshilek. Je ne pleure pas. Mes larmes ne sont pas des pleurs mais la preuve de ce trop-plein de joie qui fait tourner ma tête et celle de Delenrorn fier comme un paon qui joue son rôle d'époux à la perfection. Si mon bras repose de nouveau dans celui de Palareth, mon manchot n'a pour sa part pas manqué d'offrir son aile en guise de perchoir à Guinerain, et se pavane désormais avec sa compagne, veillant à ne pas trébucher quand marbre et tapis laissent la place aux pavés, aussi prudents que moi quand nous montons dans la voiture qui nous mènera à la salle de réception. Nous avons certes nettement moins d'invités que si notre union avait été acceptée par le père de Palareth, mais ma chambre de bonne ne peut simplement pas les accommoder, et l'appartement de mes parents a trouvé de nouveaux locataires il y a plusieurs années déjà. Qu'importe. L'important est d'avoir des amis avec qui célébrer ce jour.

La voiture se met en marche tandis que je me blottis contre Palareth, regrettant un instant de ne pas pouvoir simplement fermer les rideaux aux fenêtres, m'offrant simplement le luxe d'ôter mes gants et de laisser courir mes doigts le long de sa mâchoire avant de les replacer sagement sur mes genoux, observant Delenrorn qui de nouveau flatte Guinerain du bec, en face de nous, indifférent aux rues et bâtiments qui défilent, au soleil désormais haut dans le ciel, aux sursauts de la voiture sur les pavés parfois inégaux. Je l'envierai presque, si la majeure partie de mon être n'était pas concentrée elle aussi sur mon époux.

Les chevaux hennissent tandis que la voiture s'arrête, me sortant de ma transe, gants retrouvant mes mains et dissimulant de nouveau mon alliance, voile arrangé de sorte à révéler mon visage et ne pas dissimuler mes peignes, Delenrorn offrant de nouveau une aile à Guinerain, parfait gentleman retenant les douces piques qui lui brulent le bec dans sa détermination à ce que ce jour soit le plus parfait qui soit, dissimulant même sa satisfaction tandis que nous entrons dans la salle de réception, viandes froides, tartes, quiches, scones et autres attendant sur les plateaux, assiettes attendant, tables installées en attente de dineurs, notre table aisément reconnaissable. Un instant j'observe les trois gâteaux attendant d'être coupés avant de devoir reprendre mes esprits, accueillant les invités comme il se doit avant que nous ne prenions nos places à table.

Le repas me semble passer en un instant, la vision de la lame du couteau s'enfonçant dans le gâteau si sombre de Palareth s'imprimant contre mes rétines avant de s'effacer lorsque mon couteau détruit la virginité du glaçage blanc de mon gâteau avant qu'il ne soit soigneusement empaqueté, destiné à ne pas revoir le jour avant nos 25 ans de mariage, de nos noces d'argent. J'espère que nous serons tous deux présents pour l'occasion, tous deux présents pour nos noces d'or, avant de balayer la mélancolique pensée tandis que les musiciens finissent d'accorder leurs instruments, trouvant à la place le chemin de la piste de danse. Les notes d'une valse nous accompagnent, sourire étirant de nouveau mes lèvres tandis que je repense à cette première valse et au premier baiser qui a suivi, orchestré par nos âmes. Nul besoin de manigances désormais, nul besoin de nous cacher, tandis que nous tournons, un-deux-trois, un-deux-trois, traîne soigneusement drapée sur mon bras de sorte à ne pas risquer de trébucher, mains gantées parvenant en dépit du tissu à s'échanger leur chaleur.

Les notes ralentissent, nos pieds les imitant, mes yeux restant perdus dans ceux de Palareth. Bientôt il sera temps de saluer nos invités de nouveau et de remonter en voiture, claquement des sabots contre le pavé nous ramenant dans mon chez-moi désormais mon chez-nous, où ma penderie attend que les affaires de Palareth rejoigne les miennes, malles de mon trousseau destinées à rester fermées jusqu'à ce que nous ayons trouvé un lieu plus approprié pour fonder notre foyer. Attendre ne me dérange pas. D'une certaine façon, c'est dans ma petite chambre de bonne que je l'ai embrassé pour la première fois en tant qu'adulte, aussi irréfléchi et impulsif que le geste ait été, aussi innocent que le contact de mes lèvres sur sa joue semble en comparaison des baisers échangés depuis.

Le vertige est délicieux, tas d'émotions tournant encore en encore, au point de me dire que tout cela n'était qu'une illusion lointaine, un rêve qui se finirait en sursaut et déception dans un lit. Ce jour aurait du être un véritable cauchemar et ce depuis le jour de ma naissance, une parfaite inconnue avec dieu sait quel titre de noblesse aurait du se trouver à l'extrémité de mes lèvres qui auraient effleurer sa bouche non sans un certain dégoût.

Les quatre mots me firent revenir à la réalité, réalisant à peine. J'avais vaincu, envoyé paître toutes traditions absurdes qui me révoltaient. Je ne devrais pas en être si fier, ce n'étais pas raisonnable selon l'étiquette, et pourtant je tendis une nouvelle fois la main en direction de la brune qui désormais avait un nouveau statut à mon égard, la faisant sortir dehors sous une pluie de pétales avec un sourire radieux, presque provoquant. Le mal était fait et je ne regrettais pas le moins du monde, Liscialle je désirais depuis presque toujours, Liscialle j'avais désormais avec moi jusqu'à la fin de mes jours. Je n'avais qu'une envie; glisser mes doigts sur ses joues pour récolter ses quelques larmes avant de l'enfermer jalousement dans la prison de mes bras. Il fallait encore attendre. Guinerain était aussi fière et droite, museau en l'air et posée sur l'aile de sa désormais autre moitié, ne manquant pas de s'extasier encore et encore.

J'aide ma désormais femme à monter la marche de la voiture, lui emboitant le pas sous les derniers applaudissements. Je ne manque pas de dérober un baiser furtif et espiègle alors que les doigts de la jeune femme m'effleurent, riant légèrement face à cet élan immature guidé par l'euphorie. Peut-être aussi parce que j'envie nos âmes, blotties l'une contre l'autre à l'abri des regards. C'est une courte pause, instants de détente avant de retrouver l'étiquette, les normes pour quelques heures encore, avant de rentrer, ou plutôt d'entrer, à la maison. Pour elle, ça devait sonner comme une évidence, sa chambre de bonne, bien que modeste, parviendrait à nous accueillir. Elle était loin de se douter qu'en se moment même, ses affaires étaient en train d'être rangées soigneusement dans des penderies neuves. Le tout grâce à Guine et ses talents de voleuse qui avait dérobé une clef pour que je puisse en faire un double avant de la remettre soigneusement en place.

La salle de réception se dessina enfin, aidant Liscialle et sa somptueuse robe à descendre et tout s'enchaina très vite, peut-être trop. Comme si le temps se mettait à filer plus rapidement les jours heureux, alors qu'on aimerait qu'il ralentisse. Le repas fut avalé en quelques bouchées, gâteaux symboliquement coupés tandis qu'une remarque mentale de la furette par rapport aux deux décennies passées à pourrir me fait presque éclater de rire. Où serions-nous dans vingt-cinq ans ? Combien d'enfants aurons-nous ? Voir même de petits-enfants ? Tant de questions et autres rêveries dont l'avenir dicterait les réponses.

Les premières notes me firent sourire instantanément, regard furtif allant en direction de nos Daemons qui avaient sabotés notre première danse. Les pas s'en suivirent, ouvrant la danse tandis que mon esprit nous isolait au centre, faisant disparaître les regards intrus. Je faisais mon possible pour ne pas gêner ma partenaire avec sa robe, conscient qu'elle était nettement moins pratique pour se mouvoir comme elle le désirait que la dernière fois. Je ne la lâchais pas du regard, sourire restant imprimé automatiquement sur mes lèvres qui semblaient s'être coincé avec cet état de béatitude. La danse ralentit, l'instant un brin magique s'achève sur quelques notes avant d'enchainer sur d'autres, couples perturbateurs coupant notre bulle dans cette nouvelle danse.

La fête continua à battre jusqu'à ce que mes pieds commencent à souffrir légèrement de toute cette agitation. Fort heureusement, un domestique vint me murmurer quelques mots à l'oreille, indiquant que tout était prêt et qu'une voiture nous attendait dehors. Bondissant d'excitation après avoir salué nos invités, j'y entrainais Liscialle, Guinerain bondissant à nouveau sur l'aile de Delenrorn en sautillant presque autant que moi.

Une fois installés, je fermais les rideaux dans un long soupir de soulagement, insistant pour qu'il ne soient pas ouverts. Non seulement elle ne verrait pas les routes empruntées, ni même que nous arpentions les ruelles du quartier de Valtourbe, mais en plus, nous pourrions être plus à l'aise, bien que le trajet n'était pas long. Je me décontractais, me blottissant contre ma femme alors que mon sourire refusait de disparaître, laissant probablement transparaître mes machinations.

« Maintenant je veux que tu fermes les yeux. » Murmurais-je après avoir jeté un énième coup d’œil nerveux dehors, constatant que nous arrivions à destination. Guine fit de même avec Delenrorn, s'assurant qu'il joue également le jeu, même si lui faire fermer les yeux avec sa maladresse était probablement très risqué. Je vole un bref baiser à la jeune femme avant d'ouvrir la porte, m'assurant qu'elle ne triche pas tout en l'aidant une nouvelle fois à descendre. La tâche de Guinerain fut plus délicate, autorisant le manchot à regarder ou il mettait les pieds mais sans relever la tête sou peine de se prendre un coup de patte.

« Prête ? » Je m'amusait de faire monter le suspens à son paroxysme, mains désormais plaquées sur ses paupières pour la faire attendre quelques ultimes secondes avant de les ôter et de lui dévoiler la demeure qui n'attendait qu'à être habitée. « Alors qu'est-ce que tu en dis ? » Je n'attendis pas de réponse que la mariée se retrouva dans mes bras, pieds ne touchant plus terre alors que j'escaladais les quelques marches du perron, ouvrant la porte comme je pu sans les mains et enfin pénétrer dans notre chez nous orné de fleurs en guise d'accueil, ne pouvant m'empêcher de rire avant de reposer délicatement ma femme sur le planché fraîchement ciré, tandis que Guinerain se laissait porter par Delenrorn qui m'emboitait le pas.

Les danses se succèdent, invités dansant autour de nous et avec nous, heures défilant au rythme de la musique jusqu'à ce que nous ne trouvions soudain à saluer nos invités aux visages satisfaits et rosés par l'exercice et la bonne chère, nous éclipsant pour monter dans une voiture dont les rideaux clos me rendent confuse. Delenrorn s'en moque, occupé de nouveau à flatter Guinerain et la câliner, tandis que je me blottis davantage contre Palareth, laissant mes paupières s'abaisser et ma tête se nicher dans son cou. Peut-être qu'il veut prendre une autre route pour rentrer chez nous ? S'arrêter quelque part ? Je l'ignore, profitant simplement de cette petite bulle d'intimité rythmée par le claquement des sabots sur les pavés et les secousses qui agitent roues et cabine, me trouvant presque bercée par eux et par la chaleur de mon époux, somnolente contre lui, minutes passant dans une agréable torpeur.

L'arrêt de la voiture me tire un murmure confus, sourcils se fronçant tandis que j'obéis à Pala, mes paupières s'abaissant de nouveau sans protestations, baiser rapide ma récompense, me tirant un sourire qui s'agrandit lorsque les mains chaudes de mon époux se plaquent sur mes yeux, assombrissant davantage encore l'obscurité qui les a envahis. J'ignore ce qu'il prépare, et Delenrorn ne m'est d'aucune d'aide tandis que nous descendant la voiture, main peu sûre d'elle accrochée à Palareth pour m'assurer. Le geste se révèle avoir été une bonne idée alors que la vue m'est rendue, choc et surprise me faisant vaciller tandis que la demeure m'apparaît, pierre claire et haute façade aux fenêtres surmontées de quelques moulures, jardin enclos au chemin de dalles à la couleur crémeuse, marches de même pierre menant à une porte de bois brun et lumineux. Mes lèvres s'entrouvrent tandis que mes yeux s'agrandissent, vertige me saisissant alors que je me retrouve dans les bras de mon mari, mes bras encerclant d'instinct son cou, regard enregistrant brièvement la manière dont mon daemon a de nouveau pris Guinerain sur son aile. Quand ? Comment ? Cette maison, cette si belle maison de pierre lumineuse, c'est donc notre foyer ? Un rire m'échappe à cette idée avant que mes pieds ne retrouvent le sol, mes bras se renouant de nouveau autour du cou de Palareth, talons décollant du sol pour tenter de combler la différence de taille. Mes lèvres trouvent aisément les siennes, volant à mon tour un baiser avant de me reculer. Je peux presque sentir sentir l'émerveillement sur mon visage tandis que Delenrorn repose Guinerain et prend ses premiers pas sur le parquet si lisse.

Le léger choc contre mon ventre me dit ce que je sais déjà, que mon âme si enfantine parfois n'a pas su résister à la tentation, testant le sol, ailes le propulsant en avant et rire ravi lui échappant tandis qu'il traverse la pièce en une glissade. De mon côté, je tournoie sur moi-même, yeux dévorant ce que je peux voir de notre nouveau foyer, l'escalier de bois dont je sais déjà que mon manchot ne manquera pas de le dévaler, les fenêtres encadrées de tentures claires et légères, les meubles aux teintes joyaux et au bois sombre et brillant tel un miroir, la cheminée au foyer carré et le tapis qui s'étale devant, riches couleurs et laine épaisse, pouvant presque nous imaginer blottis ensemble, cernés de papiers colorés et froissés, enfants émerveillés devant leurs jouets neufs alors que nous cachons des sourires dans notre thé ou effaçons une trace de chocolat sur une joue. Une pièce où passer nos matinées, où me blottir dans le fauteuil crapaud panier sur mes genoux pour m'adonner à la broderie ou à la couture, pour attendre le départ de Palareth et lui voler un baiser lorsqu'il devra partir pour le travail. Une pièce par où contempler le soleil qui se lève au-dessus des toits de Balgram avant de sortir dans le jardin observer les fleurs et herbes, ou m'asseoir au soleil et caresser mon ventre rond, voire observer des silhouettes enfantines aux visages encore flous courir et rire.

De nouveau je me tourne vers Palareth, me nichant de nouveau au creux de ses bras tandis que Delenrorn continue de glisser à travers la pièce pour amuser Guinerain. Mes lèvres effleurent brièvement celles de mon époux avant qu'un rire ravi ne m'échappe.

"Cette maison est merveilleuse Pala, rien que cette pièce est splendide, je m'y sens déjà comme chez nous ! C'était une merveilleuse surprise, monsieur mon idiot de mari, même si savoir que je ne suis plus qu'à toi suffisait amplement à mon bonheur."

Un instant je me mords la lèvre, avant de retrouver mon sourire, curiosité et excitation luttant avec les émotions du jour en une danse qui pourrait presque me donner le vertige. Cette si belle maison, notre maison, notre foyer, n'attend que d'être visitée, d'être explorée et découverte, adoptée et habituée, fleurs emplissant les vases, livres et ouvrages et papiers oubliés de ci de là, plumes et fourrure oubliées sur un siège, sur un tapis, avant d'être balayées, tasses et couverts cliquetants, bruits des conversations emplissant les murs. Et mes mains se nouent à celles de Palareth tandis que je me recule, l'entraînant tandis que je le supplie avec amusement de me faire visiter notre chez-nous.

Je ne peux m'empêcher de rire face à l'expression de la mariée, à ses lèvres qui se posent furtivement sur les miennes dans une douce chaleur. Je ferme la porte avec précaution pour ne pas casser l'instant avec un bruit trop sourd. J'ôte enfin les gants clairs qui laissent apparaître l'anneau d'or qui a pris possession de mon annuaire. Ils prennent place sur la commode de bois sombres surmonté d'un bouquet de couleurs blanches, à côté de la porte. Nous sommes seuls, les quelques domestiques engagés pour mettre de l'ordre et emménager le tout se sont retirés.

Guinerain a déjà sauté sur le dos de Delenrorn, se laissant transporter par le manchot qui lui sert désormais de luge tout en riant, augmentant la bonne humeur de l'instant qui restera probablement à jamais gravé dans nos mémoires. Je lève les yeux au ciel aux mots de Liscialle, l'emprisonnant un instant dans une prison de bras, prenant soin de ne pas abimer sa robe de mariée sortie tout droit d'un conte de fée. « Vous ne pensiez tout de même pas vivre éternellement dans votre petite chambre de bonne Madame Balshilek ? » Fonder une famille dans un si petit espace aurait été plus que ridicule, il valait mieux voir grand, confortable.

Je me fais entrainer dans la course de ma femme et son excitation, me mettant à rire de plus belle avant que je ne prenne les devants pour une visite qui marquera ses premières impressions. J'aurai aimé être aussi surpris qu'elle au même instant, explorant à deux comme autrefois, pas prudent avec le regard grand ouvert qui se pose sur chaque coin de meuble. Au lieu de ça, j'avance fièrement, le dos droit et m'arrêtant dans chacune des pièces pour faire son inventaire d'un ton enthousiaste.

D'abord le salon, pièce chaleureuse où il fait bon vivre, la cuisine spacieuse qui serait bientôt envahie par de diverses odeurs alléchantes, la salle à manger où trône déjà une trop grande table pour deux qui n'attends que de nouvelles bouches à nourrir, plusieurs chambres encore vides, transformée en bureau (avec une mention spéciale anti-glissade pour Ed et Guine) ou encore atelier de couture à la hâte pour les combler, un boudoir accueillant et aux couleurs pastel, une salle de bain avec sa baignoire en porcelaine.  

Vint enfin le moment fatidique, un peu redouté : la chambre. C'est ridicule, en quoi une chambre et un lit pouvaient faire peur ? Enfin on ne pouvait pas non plus qualifier ça de peur. Mais le soir tombait sur Balgram et les traditions du mariage sont là. Une union doit être consumée, le blanc de la somptueuse robe devait devenir un mensonge, je devais lui ôter son bien le plus précieux. La pensée me noue la gorge, Guine rappliquant instantanément à mes pieds. Un tas de questions tournèrent dans mon esprits alors que la poignée s'ouvrit, laissant apparaître le lit en baldaquin ornés de voiles clairs, jumeau plus petit à ses côtés pour nos Daemons, et l'odeur des fleurs fraîches piquées un peu partout. J'entre d'un grand pas décidé, conservant mon enthousiasme malgré mes doutes. Surtout ne pas lui montrer pour la faire paniquer un peu plus, elle devait l'être bien assez aussi. Rester confiant, mais pas trop non plus, il ne fallait pas oublier que je ne savais absolument pas quoi faire pour entamer tout ça et à en juger par le silence de Guinerain, elle n'en savait pas plus, son pelage trouvant le plumages de Delenrorn de façon naturelle. Je l'enviait terriblement en cet instant même.

Mes doigts nus effleurent ceux de Liscialle, laissant les sentiments devenir maître, tâchant d'oublier les interrogations et improvisant, déposant mes lèvres sur les siennes en douceur dans un baiser savoureux, plus qu'incorrect, un de ces baisers qu'on ne donnait pas en public, qui se prolongeait encore et encore dans une douce chaleur appétissante. Un baiser que seul un mari avait le droit de donner à sa femme, à l'abri des regards, un baisers qui éveillait les flammes inconvenables en apportant les vertiges délicieux. Mes phalanges effleurent sa joue avant de se glisser dans ses cheveux, ôtant délicatement son voile à l'aveugle sans prendre la peine de détacher nos lèvres complices.  

La maison est magnifique, chaque pièce présentée fièrement par Palareth tandis que je furette et explore, ravie et surexcitée, mon esprit m'y plaçant tout naturellement, imaginant des rires et cris se répercutant le long des murs, des pieds martelant parquet et tapis avec enthousiasme, manquant renverser consoles et vases de justesse, daemons dévalant les escaliers à l'affilée, Ed et Guine riant et s'inquiétant sans se soucier d'avoir inspiré l'idée, se chamaillant tandis qu'ils regroupent les âmes protéiformes et les guident vers la salle à manger.

La vue de la chambre changée en atelier de couture me ravit plus que toute autre, mannequins attendant d'être vêtus, table où faire mes patrons, étagères à remplir de boites contenant boutons, rubans, et autres, siège confortable où broder et rapiécer... Mes gants se trouvent délaissés à leur table sur la table, mains nues se saisissant du visage de Palareth le temps d'un rapide baiser de gratitude, avant que la visite ne reprenne, pièce finale se rapprochant inéluctablement. Mon enthousiasme diminue tandis que l'appréhension se niche au creux de mon ventre, raccourcissant mon souffle et faisant s'agripper mes mains l'une à l'autre, anneau d'or me rappelant la réalité de cette première nuit. J'ignore tout de ce qui m'attend, commérages de mes collègues se voulant rassurant me revenant, m'affirmant que la douleur passera, que je m'y ferai, que ça sera rapidement fini. Je ne peux même pas me baser sur les livres, ce genre de romans m'exaspérant trop vite, reposé avant que je ne puisse atteindre ce genre de passages. Je le regrette maintenant, en dépit de leurs styles horribles, ils auraient peut-être pu m'informer, me rassurer. Trop tard. Les ailes de mon âme m'étreignent brièvement en guise de support, bec frôlant légèrement mon cou avant de me délaisser, Guinerain blottie contre lui récupérant son attention.

Mes yeux enregistrent distraitement la clarté de la pièce, l’atmosphère agréable qui l'emplit, le parfum des fleurs, avant que les mains et les lèvres de mon époux ne me consument, baiser si différent de ceux que nous avons précédemment échangés faisant tourner ma tête. Mes mains se glissent d'elles-mêmes le long de ses épaules tandis que l'appréhension se trouve à lutter avec une anticipation émergente que je ne saisis pas, paupières closes rendant chaque geste et son plus présent, plus réel. Le voile de dentelle bruisse un instant, épingles tombant au sol dans un bruit métallique, étoffe si fine glissant le long de mon dos pour les y rejoindre.

Les choses semblent presque s'accélérer, comme si cette première étoffe délaissée marquait un quelconque signal. Mes mains se trouvent à glisser le long des épaules de Palareth, jouant avec les boutons de sa redingote avant de l'en défaire, tremblantes, hésitantes, et pourtant comme mues par une volonté propre tandis que mes yeux restent obstinément baissés, fascinés par la chemise et le gilet qui se révèlent à mesure que les pans s'écartent, gestes si semblables à ceux qui libèrent les minuscules boutons courant le long de mon dos. Ed n'est d'aucune aide pour me rassurer, son bec courant le long de la fourrure de Guinerain, ailes traçant sa silhouette avec délicatesse, son contentement une simple goutte face à la crainte et à cette émotion étrange qui se fait son pendant et fait trembler mes membres davantage encore, laissant mes doigts malhabiles.

Le gilet rejoint la redingote, mon visage se nichant dans le cou de mon époux, joues brûlantes. Bientôt nous serons unis dans tous les sens possibles, blanc de ma robe le souvenir de ce qui fut, étoffe se détachant lentement de mon dos et glissant le long de mes épaules, retenues par les si étroites manches. A l'aveugle, mes lèvres retrouvent celles de Palareth tandis que je me presse davantage contre lui, recherchant sa chaleur pour me rassurer, baiser taisant mes appréhensions tandis qu'il nourrit la languissante sensation qui commence à lentement se glisser dans mes veines.