Circles clocks are the best ! | Ava

Leroy enfonce ses petites griffes dans ton épaule pour se tenir à toi. Tu ne sais plus trop quoi faire maintenant mais tu as laissé cette dame et son thé pour partir au village qu'elle t'avait montré. Tu sais que tu la reverra de toutes façons, tu le sens plus que tu n'en t'en doute. Elle a une importance pour toi mais tu ne sais pas vraiment pourquoi. Peut être parce qu'elle doit sûrement être comme toi au fond ? Enfin, te voilà à présent dans la ville vivante et quelque peu étrange des Landes de l'Est. Leroy semble avoir repris du poil de la bête mais tu as l'impression que cela ne va pas durer très longtemps. Il a beau réussir à se tenir à ton épaule sans tomber, il n'arrive plus à courir comme il le faisait auparavant et ne grimpe plus partout comme à Belgram. Tu vois ces petits yeux brillants et sa truffe humide devenir flous parfois, tu a l'impression qu'il va disparaître sans laisser de traces autre que le vide qu'il y aura dans ton esprit.

Ce village est tellement différent de Belgram. Il n'y a plus ces fumées, ces métaux, ces rouages partout. C'est du bois ici des couleurs vives et joyeuses, un air pur et sans fumée. Tu passes devant un magasin où tout est carré et tu lâche un soupir de dégoût. Tu n'aimes pas les carrés, ni les angles, c'est hideux et quand on s'en prend un contre la jambe ça fait plutôt mal. Leroy est d'accord avec toi parce qu'il plante un peu plus ses griffes dans ton épaule avant de te tirer légèrement vers un autre magasin. Tu t'arrêtes devant la vitrine cette fois. Les tic tac des horloges t'apaisent comme une de chansons que te chantaient ton père quand tu étais encore une petite enfant. Et les horloges ici sont rondes, elles sont rondes et belles comme jamais avec leurs aiguilles aux arcs singuliers. L'une d'elles te fait de l'oeil d'ailleurs. C'est une montre à gousset délicatement sculptée et dont les aiguilles glissent doucement d'heures en heures, de minutes en minutes, de secondes en secondes. Oh, ça pour sûr que tu aimerais l'acheter mais tu es quelque peu en manque d'argent. “Est ce qu'on rentre ou pas alors ?!” Leroy s'impatiente et tu passe ta main entre ses deux oreilles. “Oui, on va voir.” Il pousse un grognement, il n'aime pas quand tu le caresse devant tout le monde mais cette fois il ne s'enfuit pas. Tu as presque l'impression qu'il sait quelque chose que toi tu ne sais pas.

Alors tu pousse la porte en verre et tu entre. Il n'y a personne à l'intérieur, du moins dans cette partie du magasin. Tu t'avances, Leroy pose sa tête sur ton épaule et regarde dans la pièce. Des horloges partout et qui tiquent toutes ensemble dans un même mouvement. Intriguée, tu fais quelques pas. Ta voix résonne comme celle d'une étrangère à tes oreilles lorsque tu lance “Est ce qu'il y a quelqu'un ? ”

Je n'ai pas sommeil ces temps-ci, esprit trop occupé à imaginer de nouveaux mécanismes, rouages et aiguilles me suivant jusque dans mon sommeil, tiquetant en une valse sans fin. Je me tords entre mes draps, doigts crispés protestant l'absence d'outils entre eux tandis que je lutte pour m'endormir, sans succès. Je déteste cela, cette manière dont mon organisme brise la routine si familière, le planning habituel, simplement pour mieux penser à un nouveau projet. La nuit est faite pour dormir, pas pour travailler, ces heures-ci en tout cas, et je refuse de me lever pour travailler. Cela ne servirait à rien, il n'est pas l'heure de faire cela. A la place, je me sers une nouvelle tasse de Thé et m'installe en soupirant dans mes oreillers, priant pour que le sommeil veuille bien venir.

Mes paupières fermées tentent sans succès de me faire sombrer alors que les heures passent en un bruissement de temps familier, les horloges de ma chambre égrenant les secondes sans réussir à me bercer, les rayons du soleil bienvenus lorsqu'enfin ils caressent mes paupières. Les draps sont aussitôt rejetés, toilette rapidement faite et robe passée, le tissu vert bruissant autour de mes chevilles tandis que je cède aux désirs de mon esprit et dévale les escaliers, tasse de Thé et tartine rapidement avalées. L'établi m'appelle, mes doigts tremblant lorsque je prends place s'apaisant sitôt que le squelette de la pendule se trouve entre eux.

Le temps passe sans que je bouge de ma place, travaillant dans un silence parfait seulement rempli par l'écoulement du temps et le son occasionnel de la tasse de porcelaine qui contient le Thé désormais froid qui m'aide à rester éveillée et maintient l'habituelle douleur au loin. Aucun son ne me dérange, aucun client, la boutique vide de toute présence pour mon plus grand plaisir. Même Leoker est absent, personne pour se plaindre que l'atelier soit empli de formes rondes, pour protester le manque d'angles. C'est presque reposant. Mais ce n'est pas l'heure de se reposer, c'est l'heure de travailler, même si le Thé n'aide que partiellement mes paupières à rester levées. La voix timide qui me parvient soudain me fait bondir sur mes pieds, instruments manquant glisser d'entre mes doigts. Je les repose sur l'établi à la place, retirant ma loupe et grimaçant en apercevant mon reflet dans la plaque luisante d'un pendule. J'ai mauvaise mine, mon visage fatigué, mes traits tirés, le cercle de la loupe inscrit autour de mon œil. J'espère que la cliente ne m'en tiendra pas rigueur tandis que je pénètre dans ma boutique même, pâle sourire aux lèvres.

"Bonjour ! Veuillez m'excuser pour le délai, puis-je vous aider ?"

Mes yeux enregistrent l'hermine sur l'épaule de la jeune femme avec un émerveillement non feint teinté de compassion. J'ignore ce qu'ils sont en train de subir, comme j'ignore comment cette jeune femme a fini ici, et depuis combien de temps elle est là, m'éclipsant machinalement le temps de préparer du Thé et revenant avec la théière pleine, la déposant sur le comptoir pour sortir de sous le comptoir les tasses que j'y abrite, nous servant calmement et proposant une tasse à la Telgramienne avec un sourire.

"Je suis Avaïane Maulindath, l'horlogère du village. Bienvenue ! Même si ce n'est probablement pas très heureux... Navrée"

L'appréhension familière monte en moi tandis que je fixe les tasses, mes doigts jouant avec la longue chaîne de ma montre de col. J'espère ne pas l'avoir offensée...