What a peaceful day ❧ Eros

Craquement de l'allumette dont la flamme danse entre mes doigts, mèche de la bougie s'allumant avec obéissance, me permettant d'allumer les diverses lampes et chandeliers qui rendent l'intérieur de la taverne moins obscur. J'ignore pourquoi le patron préfère les bougies au gaz ou aux lampes à pétrole, et je m'en moque. Elle est belle, cette couleur dorée qui joue le long des murs, me tirant un sourire avant que je ne continue de préparer l'ouverture, balayant le sol tandis qu'Ed m'assiste, pelle tenue dans son bec pour recueillir poussière et terre, spectacle étrange et usuel avant que je ne la lui reprenne, la vidant et observant la salle propre.

L'eau gargouille tandis que je commence à la faire chauffer en prévision des premiers clients qui ne tarderont plus, absence d'Hélionne dans mon dos toujours aussi étrange. Elle est restée avec Palareth, avec son père, et j'imagine qu'ils ne manqueront pas de se sortir se promener, à moins qu'il ne préfère l'amuser de ses histoires et de ses gesticulations dont elle ne saisit probablement que le ton et l'émotion.

Ma tête se tourne tandis que la porte s'ouvre, silhouette familière me tirant un sourire. Eros, bien sûr. J'avais oublié qu'il travaillait aujourd'hui, lui aussi, sourire amusé lancé en direction du jeune homme que je ne parviens pas réellement à saisir mais qui ne manque jamais de m'amuser par sa manière d'être et de se comporter. Il est certainement attachant, en tout cas, pour tout ce que ses combines diverses peuvent se révéler parfois exaspérantes.

"Bonjour, Eros, comment vas-tu ? Et toi, Caprice ? Remis de la fête des Lanternes ? J'espère que vous n'étiez pas en ville..."

"T'as oublié de te coiffer ce matin, Caprice ?"

Je lève les yeux au ciel devant la question sortie de nulle part de mon âme, ne cherchant même pas à comprendre sa logique (il veut probablement la vexer et voir sa crinière se redresser) tandis que je m'assure que l'eau ne soit pas trop chaude et commence à préparer un thé, résistant à l'envie d'y émietter une feuille venue de l'Autre Côté tandis que je prends une gorgée prudente, goût me faisant légèrement froncer les sourcils et reconsidérer ma décision. Poussière, que c'est fade...

Eros tournait dans ses draps, bienheureux d'être au chaud. C'était si bien de dormir. De rester là. De ne rien faire à part apprécier la douceur relative de ces draps en coton rèche... Bon, dans des draps de soie, ça aurait été mieux, mais on ne peut pas avoir l'argent et la paresse, non ? Il grogna en entendant Caprice dire quelque chose. Elle parlait trop cette louve. Elle lui rabattait bien trop les oreilles avec ses boniments. Parfois, il avait l'impression que la représentation de son âme avait raté sa vocation de nonne. Franchement, qui se lève aussi tôt ? Ce n'était pas humain de lui faire faire ça ! Il grogna encore, roulant, roulant, et bam. Ce lit était vraiment trop petit. Il eut un cri frustré. Bon sang, c'était impossible de dormir, ou bien ?

« Bon, maintenant, tu vas peut-être te souvenir que tu embauches dans quinze minutes. Ton travail. Celui pour lequel tu finiras pas en prison. »

Il regarda une seconde un peu ahuri la louve. Et poussa un juron. Puis une multitudes d'autres très vulgaires qu'il ne serait pas bon de citer. Il se leva d'un bon, se débarbouillant à l'eau froide de son baquet. Ahhh... Il détestait vraiment les jobs honnêtes, c'est quelque chose de tellement fatiguant et éprouvant. Il frissonna en se rinçant la tête. Il s'habilla à la va-vite. Il changea deux fois de fringues, il fallait vraiment qu'il aille faire sa lessive. Mais bon, là, il devait surtout se dépêcher. Caprice n'avait pas trop de mal à courir sur ses talons. Il traversa les rues, empruntant des raccourcis improbables. Il s'arrêta une seconde pour se recoiffer vaguement, et reprendre un peu son souffle. Il était en retard, mais autant faire croire que c'était fait exprès non ? Il repoussa ses cheveux en arrière. Pestant quand ses doigts se coincèrent dans des nœuds. Ahem. Se passer de peigne, c'était pas une très bonne stratégie.

Il entra dans la taverne, l'air assuré. Il savait très bien faire semblant d'être parfaitement réveillé, frais et dispo !

« Bonjour, belle dame ! Tu es radieuse aujourd'hui ! »dit-il d'un ton enjoué. « Remis, on peut dire ça, et hélas... Non, j'étais en ville... Quand on a vécu à la campagne, même ça, c'est moins traumatisant que le monde paysan. Et toi ? »

Il jeta un regard un peu moins courtois au pingouin. Plus un regard blasé qui s'assortissait à celui de Caprice.

« Tu es jaloux de ne pas avoir un joli pelage à coiffer, Delenror ? » demanda-t-elle en secouant un peu ses poils avant d'aller s'allonger prêt du feu.

Eros ne put s'empêcher de pouffer. Nonne et diva à la fois. Peut-être pour ça qu'il l'aimait tant. Il releva le nez vers Liscialle... Il regarda aussi derrière le bar, il y avait des choses à ranger, alors, après avoir suspendu son manteau au bond endroit, il remonta ses manches, et commença à faire un peu de rangement dans les bouteilles.

« Tu sais, le café, ça réveille mieux... Et c'est moins fade que des herbes dans de l'eau... Vraiment... » Il rigola un peu. « Bon après, le mieux, c'est quand tu mets du whisky dans le café, mais ça doit pas être ton genre... »

Il eut un air un peu malicieux, cet air fripon qui pouvait exaspérer autant que faire fondre les autres.

Sale gosse. Mes yeux se lèvent au ciel en un geste amusé tandis que je réfrène une grimace en buvant mon thé insipide. Les feuilles, les bonnes feuilles, sont à portée de main, murmurant mon nom en une mélodie ensorcelante tandis que je tente de leur résister, fixant à la place mon âme qui taquine Caprice et éclate de rire devant sa réponse, secouant ses plumes avec arrogance plutôt que de lui répondre. De mon côté, j'observe le jeune homme si lumineux et immature, légèrement incrédule de l'avoir entendu affirmer si naturellement que la campagne est pire qu'une amputation, même éphémère. Quel sens des priorités... il semble avoir déjà oublié la panique et la douleur, le vide et la terreur. J'ignore comment il l'a pu, tandis que je me trouve encore à me réveiller en sueur entre les bras de Palareth, cherchant les ronflements d'Ed et ses pattes qui dépassent du sofa où il dort.

Un rire m'échappe tandis qu'Eros se met au travail, rangeant les bouteilles et vantant les mérites du whisky pour se réveiller, me tirant un reniflement amusé alors qu'Ed s'amuse à faire trébucher Caprice d'une patte errante, esquivant hors de portée et râlant tandis que le coin d'un banc s'enfonce dans ses plumes, douleur fantôme me faisant froncer le nez et craquer, minuscule morceau de feuille glissé dans le thé. Sans doute que je me fais des idées, mais déjà sa teinte me semble plus dorée, plus profonde, son odeur plus riche, quoique de manière infime, et je finis lentement ma tasse, liquide me réchauffant et achevant de me réveiller, tasse rapidement lavée et rangée avec les autres.

"Crois-moi, après cette Fête des Lanternes, même les habitués du whisky demanderont à y glisser un peu de thé, qu'importe la légalité de la chose. Personne ne fera une descente ici, de toutes manières, et tout le monde aura besoin de vrai thé pour se remettre du choc."

Un sourire m'échappe, malicieux, tandis que j'ébouriffe rapidement les cheveux d'Eros en passant et m'éloigne pour commencer à épousseter les tables et sièges, les débarrassant de la poussière de la nuit rapidement, manchot me suivant maladroitement.

"Qui sait, tu pourras peut-être en défier quelques-uns, ce sera toujours plus distrayant que de simplement servir à boire aux gens... Les lundis sont mornes, tu ne trouves pas ? Les gens sont encore endormis de leur repos. Si je ne te vois pas vider quelques bourses ou gagner quelques montres et boutons de chemise aux cartes, je serai déçue... tu pourras toujours les mettre au prêteur sur gages, ils les récupéreront aisément de la sorte, et tu auras un peu d'argent pour t'acheter ton parfum. Je jure que tu es aussi coquet qu'une noble !"

Le rire d'Ed résonne à travers la taverne à mes mots, mon âme se courbant de rire tandis que je le fouette en passant de mon torchon que je lance distraitement sous le comptoir avant d'ouvrir la taverne et de retourner à mon poste. Mon plateau est rapidement attrapé, tournant distraitement entre mes doigts tandis que je me perche sur une chaise. Il ne nous reste plus qu'à attendre les clients, désormais.