Back to work - Riff & Liscialle

Bon. J'aime bien mon frère. Mais des fois, il faut vraiment que je me retienne de le balancer par la fenêtre. Surtout quand il pique sa crise. Il faut avouer que ça ne lui arrive pas souvent. Mais quand ça lui arrive, la situation dégénère vite. En l'occurence, c'était tout à l'heure et c'était le fameux couplet du "ça serait bien que tu prenne ton indépendance". Sous entendu: " bouge toi espèce de loque, tu as quarante ans passés et tu squatte toujours chez moi". Du coup, j'ai décidé d'écourter mon sommeil et de partir travailler. Et non, je ne suis pas malade. J'enfile les premiers vêtements qui me tombent sous la main et je pars dans les limbes. C'est un quartier que je connais par coeur et je ne mets pas longtemps avant d'arriver devant la Choppe de Thé. Un bar délabré au nom plutôt improbable - et que je ne trouve absolument pas vendeur - mais qui, rassurez vous, vend aussi d'excellentes choppes de bière. Enfin, excellente est un bien grand mot. Disons qu'au moins il y a de l'alcool dedans.

Le bar est, comme très souvent, pratiquement vide. Le seul client est un homme qui s'est endormi sur sa table. À moins qu'il soit mort? Vu ce qu'utilise le patron pour couper la lavasse qu'on sert aux gens, ce ne serait pas très étonnant. Je constate l'absence de daemon du type. Finalement, il a une bonne raison de boire. Amy frissonne et se blottit contre mon cou. Je l'ignore, tout comme l'Amputé dans le coma, et je marche droit vers le bar. Ma collègue ne semble pas être là pour le moment et j'en profite pour attraper une bouteille au hasard et en boire une gorgée au goulot. Ah, ma collègue... Elle s'appelle Liscialle. D'après ce que j'ai compris on la surnomme Lissie. Du coup, je l'appelle Lili ou Sissie. On s'est rencontrés de façon un peu anarchique. Ouais, non, de façon totalement anarchique. Genre elle était enceinte et j'ai tenté d'en profiter pour l'arnaquer. Comment ça sans pitié? J'ai pas essayé de lui voler son bébé pour le revendre à une boucherie, j'ai juste voulu un peu d'argent. Bref. J'avais été arrêté par son daemon, une saloperie de pingouin. Inutile de dire que mon minuscule kinkajou s'était révélé être un bien piètre allié. Du coup, j'avais vraiment eu besoin d'argent - je devais une certaine somme à certaines personnes peu fréquentables qui avaient promis de me casser certains membres si je ne les remboursait pas - j'étais rentré dans le commerce le plus proche et j'avais demandé du travail. Le hasard fait bien les choses, le patron avait besoin de main d'œuvre. Mais le hasard est un boomerang qui m'était revenu en pleine face à toute vitesse, et Lili et son horrible bestiole travaillaient là eux aussi. La situation ne manquait certes pas d'originalité: je tenais d'escroquer une femme que je pensais riche et dix minutes plus tard, je travaillais avec elle dans le pire bar de toute la ville.

Le patron du bar - qui était rarement présent et qui laissait Liscialle tout gérer - m'avait pris à l'essai pour une semaine. J'étais venu deux jours. Et puis je m'étais lassé. En plus, j'avais trouvé une vieille dame, une cible facile qui m'avait permis d'éponger mes dettes. Bref, ça faisait bien deux semaines que je n'étais pas venu travailler. Mais théoriquement, j'étais encore à l'essai pour cinq jours non?

D'un seul coup, Amy sursaute. Et du coup moi aussi. Elle n'a pas besoin de me dire quoi que ce soit, elle m'a si souvent servi de guetteuse que je sais quoi faire rien qu'en fonction de ses mouvements. J'entends du bruit venir de la réserve, une petite salle pleine de caisses d'alcool située derrière le comptoir. C'est sûrement Liscialle. Je repose la bouteille à moitié vide et je tente d'adopter l'air le plus innocent possible.

La réserve est ridiculement encombrée lorsqu'Ed et moi y entrons, papier et crayon à la main de sorte à pouvoir faire un semblant d'inventaire. Les caisses en tout genre forment un labyrinthe que mon daemon navigue péniblement, ailes limitées par l'étoffe qui maintient le Daemon d'Hélionne contre lui, reflet de la manière dont ma fille est accrochée dans mon dos, paisiblement endormie pour l'instant, à mon grand soulagement. Une part de moi a hâte qu'elle soit assez grande pour que je puisse la confier à notre voisine durant ma journée de travail, là où elle sera en sécurité loin des clients parfois éméchés. Ils ont beau veiller à garder leurs distances avec elle, je crains toujours qu'un quelconque incident ne la blesse. Inquiétude sans doute idiote, mais qui me suit depuis que l'on a tenté de tirer parti de mon statut femme enceinte pour m'arnaquer. Si je semblais une cible facile à l'époque, je n'ose imaginer ce qu'il en est maintenant. Et de voir travailler avec celui qui a voulu m'extirper le maigre argent dont je dispose n'aide guère mon anxiété. Ed a manqué attaquer le Daemon de notre employeur en apprenant la nouvelle. Être en charge de la taverne semble une bien maigre consolation, quand je n'ai pas le pouvoir de simplement renvoyer Cesare. Cela ne changerait pas grand chose; il n'est pas venu depuis deux semaines.

Il a du prendre peur en nous voyant.

La joie d'Ed à cette idée est évidente, alors que je bouge une énième caisse, en sortant quelques sachets de thé. Nous avons une assez bonne clientèle d'Amputés, et il est hors de question qu'ils manquent de thé, pas quand j'ai pu voir les effets du manque sur eux. Nous ne pouvons certes pas leur fournir le véritable thé de l'Autre Côté, mais nous pouvons au moins leur proposer des mélanges un peu plus efficaces que du simple thé de Telgram pour calmer la douleur. Ils le méritent bien, victimes comme ils le sont de ce système cruel. Aussi en colère que je puisse le faire, et je le suis certainement, je comprends un peu trop bien ce qui a motivé Pala à falsifier ses dossiers de la sorte. Vivre dans les Limbes n'a fait que rendre la réalité des Amputés plus concrète encore à mes yeux. Mais je lui en veux néanmoins d'avoir gardé le secret de la sorte, de s'être fait prendre et de m'avoir laissée, même si ce n'était pas de son fait, et la caisse entre mes mains se trouve posément plus violemment qu'elle n'aurait dû l'être sur le sol, bruit des bouteilles s'entrechoquant emplissant l'espace aussi sûrement que les sachets de thé emplissent les poches de mon tablier.

Un instinct me fait me saisir de mon éternel plateau de fer tandis que j'émerge de la réserve et dans la taverne même, mon regard se posant aussitôt sur l'arnaqueur derrière le comptoir, expression bien trop innocente sur le visage tandis que je peux sentir le mien se rembrunir. A mes côtés, Ed tape discrètement ses pattes aux doigts griffus sur le plancher terni par les passages tandis qu'il claque du bec, ses yeux sombres posés sur la kinkajou. Elle est adorable, mais il ne sait pas les apparences l'induire en erreur. Et aucun Daemon ne saura jamais égaler Guinerain à ses yeux. Si possible, la trouver elle adorable ne fait qu'ajouter à son irritation, comme voir la bouteille plus vide qu'elle ne devrait être ajoute à la mienne.

"Deux semaines sans daigner te montrer et tu penses pouvoir consommer à l’œil ? L'alcool sera retenu sur ton salaire, bien entendu. Une demie-bouteille de whisky... ma foi, il semblerait que tu doives actuellement travailler aujourd'hui, si tu espères gagner quelques pièces."

L'idée me réjouit, un sourire factice étirant mes lèvres tandis que je rapproche, plateau nonchalamment serré entre mes doigts. Qu'il tente quoi que ce soit, une remarque déplacée, toucher Hélionne, arnaquer quelqu'un, et il fera connaissance avec.

"Deux semaines sans daigner te montrer et tu penses pouvoir consommer à l’œil ? L'alcool sera retenu sur ton salaire, bien entendu. Une demie-bouteille de whisky... ma foi, il semblerait que tu doives actuellement travailler aujourd'hui, si tu espères gagner quelques pièces."

Aouch. Le ton est donné. Enfin, puisque je me suis fait griller, autant en profiter et aller jusqu'au bout. Je récupère la bouteille et je la siffle entièrement. Il me faudra au moins ça pour supporter le caractère pour le moins explosif de ma collègue et de son daemon. Je commence à regretter d'être venu. Mais en même temps, c'est un peu tard pour faire demi tour.

"Hey, salut Lili! Moi aussi ça me fait plaisir de te revoir! Tu vas bien? Deux semaines, vraiment? Je t'ai manqué ?"

À ce qui parait, j'ai un certain talent pour énerver rapidement les gens. Bon, c'est vrai que ce n'est peut être pas la meilleure des choses à faire vu que je vais travailler avec Liscialle toute la journée. Au même moment, je remarque que son pingouin trimballe un deuxième daemon dans son dos. Amy l'a elle aussi remarqué et elle se met à rire. Elle et Ed ne s'aiment pas trop. Ça doit être le daemon de la fille de Liscialle. En pensant à elle, je me sens un peu coupable d'avoir essayé de l'arnaquer pendant sa grossesse. Un peu, hein. Je ne vais pas non plus ramper par terre pour implorer sa grâce. Du coup, ça me calme malgré moi et je repose la bouteille vide. La foule que constitue notre clientèle, à savoir l'Amputé comateux vient de s'écrouler au sol sans pour autant se réveiller.

"T'en fais pas pour ça. J'ai pas de problèmes d'argent en ce moment. Je viens juste filer un coup de main. J'avais oublié qu'ici il n'y avait jamais personne et que tu te débrouillais toujours toute seule."

Je ne pars pas pour autant. Si je ne rampe pas devant Liscialle, je le ferais encore moins devant mon frère. Et rien que rentrer chez lui avant la fin de la journée serait lui donner raison.

"T'es trop fier."

Non Amy. Je ne suis pas fier. Juste un peu con.

"Bon écoute. Je suis pas venu là pour qu'on s'engueule. Si tu as quelque chose à me faire faire, y a pas de souci. Tu veux que je le mette dehors, le type qui dort par terre?"

Bien les choses commencent bien, deux minutes que je suis en la présence de cet homme et l'envie de l'assommer à coups de plateaux et de l'abandonner dans le souterrain le plus proche aux tendres mercis des pires individus de Balgram me démange déjà. C'est un exploit en un sens, j'ai beau savoir que je n'ai aucune patience pour cet individu que je juge pour le moins répugnant, je me serai pensée capable de le supporter un peu plus longtemps, au lieu de sentir mon sang bouillonner dans mes veines en le voyant reporter la bouteille à sa bouche tandis que le bec et les griffes d'Ed cliquent de manière menaçante. La kinkajou n'est pas si grande qu'il ne puisse pas aisément la saisir ou la blesser, et ce fait l'aide à rester passif à mes côtés, le cliquetis la seule marque de son irritation. Il estime Amy indigne de son attention, et je sais déjà qu'il restera muet aujourd'hui, ne parlant qu'à travers notre lien. Je hais un peu Riff de s'être montré, juste pour cette raison. J'aime discuter avec Ed par-dessus les conversations, j'aime l'entendre se moquer des habitués à voix haute, j'aime l'entendre s'insinuer dans les conversations sans la moindre gêne et les relancer. La journée sera bien morne sans sa voix aux accents sarcastiques.

Un sourcil hautain se lève alors que Cesare tente de justifier sa présence et de la faire passer pour une quelconque bonne intention. J'ignore s'il tente de m'apaiser ou s'il est sincère, mais je ne dissimule pas mon scepticisme devant ses mots. Alors comme cela, il lui a fallu deux semaines pour se rappeler de tout cela ? Pour décider de se rendre utile ? Je me permets d'en douter. Il a essayé de me soutirer le peu d'argent dont je dispose alors que j'étais enceinte, il est clair qu'il est dépourvu de toute morale, et j'espère de tout cœur qu'il ne fait pas partie de ceux qui ont été secourus par Palareth, ou quelque chose de bien plus lourd que mon plateau risque d'entrer en collision avec son crâne. Comme une caisse pleine.

Tu veux que je largue le truc à poils à travers la porte ?

Ne me tente pas.

Au lieu d'accepter l'offre pourtant si tentante de ma moitié, je passe une main légère contre la joue duvetée d'Hélionne avant de recoller le sourire vide de toute sincérité sur mes lèvres. Cet homme fait ressortir ce que j'ai de pire, ma colère et mon amertume, et il m'insupporte assez pour que cela me laisse entièrement de marbre. Je n'ai pas besoin de l'aide d'un arnaqueur dépourvu de charme pour gérer la clientèle, encore moins un Amputé qui fait partie des habitués. Ce client en particulier a simplement pris l'habitude étrange de régulièrement arriver en même temps que moi et s'endormir aussitôt, et je le suspecte de ne pas avoir de logement, ou d'être particulièrement affecté par la solitude qui les touche tous.

"Ce ne sera pas nécessaire. Rends-toi plutôt utile et rince les chopes. Ed, tu veux bien ?"

Nulle réponse à haute voix bien entendu, mon daemon se contentant de se détourner, révélant le minuscule koala blotti dans son dos et maintenu par les longues bandes de tissu, une de ses formes favorites quand il est transporté de la sorte. Les pattes griffues d'Ed cliquète tandis qu'il approche de la forme prostrée au sol, cliquetant rapidement près de sa tête et le faisant remuer, mon âme retournant à mes côtés alors que je profite du sommeil désormais troublé de mon client pour l'interpeller, le faisant tressaillir. Il ne devrait plus tarder à se réveiller, un sourire sincère glissant sur mes traits à cette idée tandis que je mets de l'eau à chauffer et range les sachets de thé que j'ai sorti de la réserve. Il voudra sans doute une bonne tasse de thé pour se réchauffer et pallier à la première vague de douleur une fois sorti de l'anesthésiante étreinte du sommeil.

La plonge? Sérieusement? D'accord, je suis venu pour aider, mais il ne fait peut être pas pousser. Enfin... Autant éviter de contrarier Liscialle, surtout quand c'est elle qui a le pouvoir. Son volatil insupportable s'en va réveiller l'Amputé et j'en profite pour passer en cuisine. Par chance, peu de clients sont passés, ce qui signifie peu de vaisselle à faire. J'expédie cette tâche rébarbative en vitesse, non sans quelques ronchonnements de la part d'Amy que j'ai forcée à mettre la main à la pâte. Je ne pense pas que Liscialle pensait que je lui obéirais. Je dois dire que je me surprend moi même. Mais depuis que j'ai tenté de lui soutirer de l'argent et que je travaille avec elle, je dois marcher sur des oeufs. D'autant plus qu'elle n'hésite pas à me rappeller régulièrement ce que je vaut à ses yeux. À savoir pas grand chose.

Je m'essuie les mains avec un torchon d'une propreté douteuse, je range les chopes à leur place et je retourne en salle. Espérons que Liscialle n'a pas décidé de me faire faire toutes les tâches ingrates de la taverne. Ce serait préférable pour nous deux d'enterrer la hache de guerre. Bien sûr, elle a beaucoup de choses a me reprocher. Et je ne l'en blâme pas. Mon expérience m'a démontré que la plupart des gens n'aime pas quand un individu tente de dérober leur argent si durement gagné.

Je m'empare du plateau que Liscialle à préparé pour l'Amputé et je l'apporte à sa table. Le pauvre type n'a pas l'air bien frais. J'observe ma collègue à la dérobée. Elle n'a pas l'air de prêter attention avec moi. Je décide de m'asseoir à la table de l'homme. Heureusement pour lui, je suis sur le chemin de la rédemption et je dois faire des bonnes actions pour me racheter - je ne préfère même pas imaginer le fou rire d'Ozzy si il pouvait lire dans mes pensées. Je sers au bonhomme une bonne tasse de thé bien chaud. Il tend une main pour s'en saisir l'air je l'arrête d'un regard. Juste le temps de sortir subrepticement de ma poche une petite flasque d'alcool fort et d'en ajouter un peu dans son thé. Ça ne doit pas être très bon, mais le thé chaud combiné à ce petit médicament maison devrait le remettre sur pied.

Une fois ma place dans un monde meilleur acquise, je me lève en lui laissant la flasque et je retourne voir Liscialle. Son daemon n'a pas l'air franchement ravi de me voir revenir vers eux. Amy lui tire la langue. Merci, c'est une super idée. Ça va super bien marcher pour nous réconcilier. Je jette un regard au minuscule daemon de la fille de Li. Fille dont je ne connais pas le nom, d'ailleurs. Mais vu notre passé, autant éviter de ramener le sujet sur la table.

"Voilà, j'ai fait la vaisselle. Tu as une autre corvée à me refiler? Sinon on pourrait peut être profiter du fait qu'il n'y ait personne pour discuter entre adultes matures et responsables?"

Mes mains s'affairent avec des gestes sûrs, préparant le thé et veillant à mettre une feuille provenant de l'Autre Côté dans le mélange. Elles sont précieuses et rares, me contraignant à les utiliser parcimonieusement, mais une feuille rendra le thé un peu plus efficace à combler le manque et n'affectera pas les stocks. Ed me tourne me dos, observant silencieusement Riff et son daemon s'éloigner en cuisine, amusé par l'irritation du kinkajou, avant de se détourner quand ils reviennent dans la grande salle et s'emparent du plateau, tandis que à mon tour je surveille le duo. Je n'ai pas confiance; leur légèreté m'irrite.

A l'instar de leur condescendance. Ed renifle discrètement devant le comportement immature de la kinkajou, me tirant un regard amusé alors qu'il commence à planifier comment humilier l'âme si petite en comparaison; mes yeux se lèvent au ciel en entendant les paroles du Cesare. Corvées ? Discuter entre adultes matures et responsables ? Sait-il seulement ce que ces deux mots signifient ? Mes dents grincent devant son arrogance. Certes, il m'irrite, et je lui en veux. Mais penser que je ne lui ai donné cette tâche que pour l'irriter ? Poussière, je me demande bien comment il fait pour passer ses chaussures, avec un tel égo. Je peux physiquement sentir ma colonne vertébrale se redresser, adoptant la posture parfaite et implacable du père de Palareth lorsqu'il est irrité, masque neutre et poli envahissant mes traits tandis qu'Ed se place légèrement en retrait. Apparemment, il est plus que temps de rappeler les faits à mon collègue.

"Mais je t'en prie, discutons. Veux-tu parler du fait que tu as disparu avant la fin de ta semaine d'essai, sans même avertir, nous forçant tous à travailler encore plus pour compenser ton absence ? Ou des deux semaines qui ont suivi ? Peut-être devrions-nous parler de la manière dont tu reviens aujourd'hui et t'attends à être accueilli comme si de rien n'était ? De surcroit, je te rappelle que nous sommes une taverne; tu peux considérer que rincer les chopes est une corvée, mais c'est une tâche nécessaire, et nous avons tous commencé par là."

Respire, au pire on les mettra à la porte, je doute qu'ils reviennent demain de toutes manières.

Ce n'est pas faux. Peut-être, peut-être qu'il est capable d'être digne de confiance, mais tout jusqu'ici indique le contraire, et contribue à le faire descendre plus avant dans mon estime. Je voudrais le mettre dehors, et oublier jusqu'à son existence, mais ce n'est hélas pas ma prérogative, et je le regrette tandis qu'un minuscule poing se referme sur mes cheveux, gazouillis léger m'avertissant du réveil d'Hélionne. Le moment est pour le moins mal choisi, mais il faudra s'adapter.

"Je dois aller la nourrir. Tu as de la chance, vu que tu es la seule autre personne ici, tu es en charge. Sous la surveillance d'Ed bien sûr. Tu comprendras que je ne te fasse pas confiance à l'heure actuelle, je n'en doute pas."

Poussière merci, la cuisine est assez près pour qu'Ed puisse rester dans la grand-salle, et Hélionne n'est pas une grande mangeuse, finissant rapidement son repas et faisant sagement son rôt avant que je rajuste mon corsage. Elle ne proteste pas alors que je rattache le tissu qui la maintient dans mon dos, trop occupée à jouer avec mes cheveux, mains maladroites tirant parfois trop fort et m'arrachant une grimace fugace. L'idée de devoir supporter Cesare des heures durant encore m'est bien plus douloureuse que le manque de délicatesse de ma fille, pour être honnête, et je me force à sourire en émergeant de la cuisine.